Pablo n.

Publié le par lapetitem

chant général du chili
éternité

j'écris pour une terre à peine sèche, encore
fraîche de fleurs, de pollen, de mortier,
j'écris pour les volcans dont les dômes de craie
répètent leur vide rond auprès de la neige pure,
je me prononce tout à coup pour ce qui porte à peine
cette vapeur ferrugineuse sortie depuis peu de l'abîme,
j'écris pour les prairies qui ignorent le patronyme
mais qui connaissent la menue clochette du lichen, l'étamine roussie
ou l'âpre frondaison où flambe la jument.

d'où suis-je issu sinon de ces matières neuves et bleues
qui s'emmêlent ou se hérissent ou se destituent
ou s'égaillent à grands cris ou se répandent somnambules,
ou escaladent et forment le bastion de l'arbre,
ou se creusent et amarrent la cellule du cuivre
ou sautent sur la branche des rivières, ou succombent
dans la race enterrée du charbon ou scintillent
dans les vertes ténèbres du raisin?

la nuit je dors comme les fleuves : je parcours
ceci ou cela, sans répit, je romps, je donne de l'avance
à l'obscurité natatoire, je soulève les heures
vers la clarté, je tâte les images
secrètes que la chaux a reléguées, je remonte le bronze
jusqu'aux cataractes à la fraîche discipline, et touche enfin
dans un chemin de fleuve ce qui distribue
la rose jamais née, l'hémisphère noyé.
la terre est une cathédrale aux paupières blafardes,
éternellement liées et accolées, formant
une tornade de segments, un sel de voûtes,
une couleur finale d'automne pardonné.

vous n'avez pas, vous n'avez jamais touché en chemin
ce que la stalactite nue précise,
la fête au milieu des lampes glaciales,
le haut froid des feuillages noirs,
vous ne m'avez pas suivi dans les fibres
que la terre a dissimulées,
et vous n'avez pas remonté, une fois morts,
grain à grain les marches du sable
jusqu'à ce que les couronnes de la rosée
couvrent de nouveau une rose éclose,
vous ne pouvez pas exister sans mourir peu à peu
avec les vêtements élimés de la chance.

mais je suis moi le nimbe de métal, l'anneau
enchaîné à des espaces, des nuages, des terrains,
qui touche des eaux muettes et précipitées
et défie à nouveau l'intempérie sans fin.

pablo neruda


"... et c'est ainsi que je franchis la cordillère des andes, à cheval, sans autre linge que les effets que je portais, avec dans mes fontes mon bon gros livre et deux bouteilles de vin..." p.n.

la première édition du "chant général" fut publiée à mexico le 3 avril 1950, avec les illustrations de diego rivera et de david a. siqueiros. d'autres suivirent et il eut, la même année, des éditions clandestines au chili. (claude couffon)

m-écoute

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